Un bel après-midi à Baltimore. Lyssandre avait jeté un coup d’œil par la fenêtre de sa chambre. Le soleil l’avait ébloui, elle avait cligné des yeux. Cela faisait environ huit heures d’affilée qu’elle était restée branchée sur son ordinateur. Sur son écran s’étalait des codes plus obtus les uns que les autres. Pour l’adolescente, cela semblait bien plus clair que son programme d’histoire qui parcourait la guerre de Sécession en long, en large et en travers. Elle avait eu un deux à son devoir, et elle était censée rendre une dissertation pour se rattraper mais elle n’avait aucunement envie de s’y plonger. La porte de sa chambre s’ouvrit et son grand frère entra, ses yeux se posèrent sur le visage de sa sœur, et il s’avança, fermant subitement l’écran de son ordinateur portable. La réprobation se lut sur ses traits. Lyssandre ne la perçut pas. Elle s’étira et bailla :

- Je vais travailler, lui dit Tom avant de l’embrasser délicatement sur la joue, tu ferais mieux de faire autre chose que de pianoter sur cette machine, ou je la jette par la fenêtre.
- Rabat joie ! rit Lyssandre qui n’avait pas saisi le sérieux de son frère.

Elle était constamment déconnectée des émotions d’autrui. Mais elle appréciait le contact de ses lèvres sur sa peau, et bizarrement, même après sa psychothérapie décapante avec le Dr Lecter qui lui avait ouvert les yeux sur sa façon de la voir, comme sa plus belle poupée, elle n’était pas parvenue à ne plus l’aimer. Et elle continuait à lui obéir.

C’est pour cette raison que la rouquine quitta son petit nid, une fois son grand frère parti, pour se rendre au parc. Elle avait lâché ses longs cheveux roux, et elle courait allégrement de ça, de là, sans but. Un labrador la vit et gambada avec elle et elle éclata de rire. Heureuse de vivre. Elle joua un peu avec lui avant de se poser sur un banc quelques secondes, le temps de mettre de la musique. Elle installa son i-pod sur une petite enceinte et diffusa de la musique rock qui eut le don de la faire sauter sur ses pieds pour improviser une chorégraphie. Lyssandre se fichait bien du regard peu amène des vieux couples qui passaient devant elle, elle n’était plus que musique, et mouvement. C’est là qu’elle aperçut une jeune fille brune qui balançait la tête au rythme de la musique. Elle ne vit pas ses écouteurs, et elle ne comprit pas sur le coup qu’elle n’était pas en synchronisation avec sa musique. Pour elle, ce fut comme une invitation, elle bondit vers l’inconnu joyeusement :

- Héééé ! Tu danses avec moi ?

Elle lui fit un clin d’œil.

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L’inconnue pencha la tête sur le côté. Lyssandre eut l’impression de se retrouver devant un chiot en plus mignon. Elle adorait quand les chiens se comportaient de cette manière, soulevant légèrement les oreilles, le regard vibrant d’intelligence et d’interrogations mêlés. Ils vous fixaient comme s’ils attendaient des précisions. A ces moments là, l’adolescente avait tout bonnement envie de les serrer contre elle et de les couvrir de baisers papillons. Parce que soyons honnêtes, les bêbêtes pleines de poils….elles étaient mignonnes mais elles sentaient également le fauve….

La jeune fille qui devait avoir dans sa tranche d’âge la salua, avant de se taire. Lyssandre se sentait plutôt stupide à briller de son énergie intérieure, sur place, alors elle se mit à sautiller sur le rythme de la musique pour lui donner l’exemple. L’inconnue était elle timide ? Il ne fallait pas…après tout quand il y avait de la musique, il y avait du mouvement, la danse tombait sous le sens ! Elle ne comprenait pas pourquoi elle mettait tant de temps à réagir. Elle se demandait si elle ne s’était pas trompée dans son vocabulaire –cela lui arrivait si souvent !- si elle n’avait pas sorti quelque chose du style : « alors on manche ? » ou « alors ça tranche ? ». Enfin bref, sur le coup, Lys se mit à plutôt se creuser la tête, quand la fille brune en face d’elle se mit à courir enfin boitirir (boitiller-courir) selon les expressions à la Lyssandre, et ensuite à lui hurler dessus. Instinctivement, elle recula, levant les bras comme si elle s’apprêtait à faire du karaté –dont elle n’avait aucune notion-. Choquée, elle la regarda s’éloigner. Une minute plus tard, elle se rendit compte qu’elle avait du lui faire peur et elle éteignit sa musique pour lui courir après. Elle l’avait vue s’éloigner, et comme elle n’avait pas envie de piquer un sprint paralympique et qu’elle connaissait bien le parc, elle prit simplement une allée transversale qui allait couper la route à la jeune demoiselle en fuite.
Sa foulée était fluide et rapide, et elle s’arrêta en freinant très brutalement, ses baskets de toile crissèrent quand elles stoppa net devant l’inconnue.
Elle leva les bras en signe de paix.

- Hugh ! Moi vouloir fumer calumet de paix avec toi. Pas avoir peur de moi.

Bon ce n’était peut être pas le moment de faire de l’humour, mais Lyssandre curieusement avait dit cela sans cette optique particulière. Elle pensait vraiment qu’enlever les structures grammaticales de sa phrase allait l’aider à communiquer avec l’inconnu. Comme quoi, la logique, cela ne tenait vraiment que du point de vue…